lundi 14 janvier 2013

L'orque

24 décembre 2012. En mer.

Tara Tari avance depuis 24h au rythme du souffle des baleines. Certaines passent à quelques mètres. Nous progressons alors au large de l'île de Fuerteventura, glissant vers le sud dans le petit temps. Le vent tombe au fil de la journée et vers 17h, je profite d'un moment sans vent et d'une mer enfin très calme pour me mettre à l'eau et vérifier ainsi ma réparation du safran après 24h de navigation.


Tout est ok, et j'en profite pour nager une minute (parce que j'adore ça) mais je ne m’attarde pas: la lumière du soleil devient dorée. Le soleil va bientôt se coucher, ce qui signifie que l'heure du repas va sonner pour les animaux marins. Je remonte à bord, enfile des habits secs. Au loin, le soleil se couche au creux des volcans noirs du sud de l'île. L'instant est paisible. Le silence s'installe sur l'océan, le ciel devient orange, colore l'eau d'un ton d'or.


Pas une trace de l'Homme. Tara Tari est au coeur de la Nature. Hors du temps, dans ce silence des premiers jours du monde, commence alors un étrange spectacle. Une petite tache sombre s'approche de la coque. C'est une grande tortue, qui avance doucement en surface, prenant sa respiration. "Bonjour jolie tortue!" lui dis-je à voix basse pour le pas troubler la tranquillité du moment. Assise à l'avant du bateau, je la regarde affectueusement. Tara Tari, sans moteur, dérive au gré des flots au repos. Un peu plus loin, des oiseaux s'agitent. L'heure du repas. Le cycle de la nature. Un banc de dauphins chasse en surface et au dessus de l'eau, des goélands marins profitent de ce tourbillon poissonneux pour plonger et piquer quelques poissons aux dauphins. Tout semble cohérent et bien organisé. Je ne cesse de me dire que je suis chanceuse d'assister à cet étrange repas de Noël. Ils sont là, tout autour de nous. Et nous restons silencieux, observons discrètement, comme si TaraTari avait reçu la permission d'être là.

Un geyser d'eau interrompt le silence. Une baleine! Oh, et puis là! une autre! On peut en voir au moins 6, immenses, qui soufflent, plongent, refont surface. Je compte 5 à 10 minutes entre chaque souffle d'une même baleine. Dans ce silence assourdissant, leurs souffles résonnent et me font frissonner. 27 espèces de cétacés ont été recensées dans l'archipel. Baleines pilotes, grises ou tropicales, nous avons eu le droit à différentes rencontres aujourd'hui. Mais l'une d'elles, ce soir, attire mon attention, elle semble bien plus grande que les autres.


Sa taille, sa couleur, sa nageoire dorsale... S'agirait-il d'une baleine bleue? Peu probable, le rorqual bleu, le plus grand de tous, est de plus en plus rare et se situe dans des latitudes plus Nord. Mais elle est tellement grande, bien plus grande que le rorqual gris. Je pourrais vite plonger dans mon petit livre qui décrit les différentes espèces, mais qu'importe son nom: là tout de suite, je préfère vivre l'instant, rester présente à cette imposante rencontre. Je pense alors à mon ami américain, le réalisateur Peter Jay Brown, un des piliers de Sea Shepherd, actuellement en Antartique. Nous avions passé un chouette moment ensemble à Lanzarote. Il aurait aimé être là.

Les dauphins, les oiseaux, la tortue et les baleines m'émerveillent. Je me sens bien, sereine dans cette immensité vivante, loin des Hommes bruyants. Je suis à l'avant du bateau, en compagnie de la tortue, quand soudain un grand bruit me fait sursauter. A quelques mètres de l'étrave de Tara Tari, une orque saute et plonge avec force. Face à face improbable. Bien fait de remonter à bord, moi. Elle fonce dans notre direction. Impressionnée, je file à l'arrière du bateau. Maxime me regarde "Une orque!" Nous sommes à la fois émerveillés et effrayés. "Tu as vu ces joues blanches, sa tête si grosse, si ronde! C'est fou!" Nous ne sommes pas rassurés, car l'orque fonce vers nous avec une grande détermination. L'orque est une tueuse, il ne faudrait pas qu'elle prenne Tara Tari pour une dinde de Noël! Je regarde Maxime "Tu crois que les orques ont un menu spécial Noël ?!" lui demande-je à voix basse. Nous sourions mais restons en silence. Nous sommes si bas sur l'eau, que la baleine tueuse n'aurait pas à prendre beaucoup d'élan pour nous gober comme des petites otaries. Nous restons très attentifs, observons la masse sombre qui passe sous le bateau. Une fois... Deux fois.... et puis d'un côté et de l'autre. Apnée. Que les secondes peuvent sembler longues quand on est dans l'inquiétude! Pfffffiou, soupir de soulagement: le danger semble s'éloigner de nous. Et nous soufflons aussi fort que les six baleines qui restent autour de nous. Élément parmi les éléments, quelle est notre place dans la chaîne alimentaire marine ? Pas très envie de le découvrir tout de suite.

Une orque (oui oui on dit "une" orque)

Le monde anglo-saxon appelle la bête "killer whale" (baleine tueuse), et croyez-moi dans la vraie vie, on est loin de "Sauvez Willy!" C'est super impressionnant de se retrouver dans ce genre de tête à tête. Quel puissant animal! Orque: poids moyen 5 à 7 tonnes. vs TaraTari poids 1,6 tonne. L'orque est juste un peu plus costaud que Tara Tari.... juste un peu :)

Improbable réveillon de Noël. Je suis subjuguée par ce que je viens de vivre. Mais le vent me rappelle à la manoeuvre: La nuit tombe et le vent se lève. Les animaux replongent dans l'obscurité et les vagues resurgissent. Je décide de prendre un ris, puis deux mais je ne me doutais pas alors, de ce que nous nous apprêtions à vivre..

Capucine



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Petit message : téléphone fr hors service, toujours pas d'Iridium, chargeur d'ordi hors service, accès à l'électricité limité et connexion internet très limitée... désolée de ne pas pouvoir donner beaucoup de nouvelles, de ne pouvoir répondre à tous les messages, ni tenir ce blog à jour plus régulièrement.. Tous vos messages me touchent beaucoup! Merci du fond du coeur! cap.

2 commentaires:

  1. ppppfff mais quel spectacle! j'ai arrêté de respirer en lisant tes lignes, moi aussi!
    très joliment écrit en tous cas, bises
    Laurence

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  2. mais bien que l'orque ait mauvaise réputation, cela reste un des animaux les plus intelligents de la planète. Amis marins, ne vous en prenez jamais a un(e)orque car jamais il/elle jamais ne vous oubliera. Et dieu (et ceux qui ont eu affaire à eux) sait qu'ils/elles sont tenaces.

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