vendredi 13 juillet 2012

auprès de mon arbre

fin juin 2012. Lanzarote, dans les airs et puis à terre, en France.

Après déjà 7 mois de vie à bord de TaraTari, j'imaginais que faire mon sac pour rentrer en France allait être une aventure, mais à force d'épurer mes affaires, j'ai réussi à tout fait tenir dans mon fidèle petit sac étanche rouge Guy Cotten. De Lanzarote, je peux prendre un avion low cost pour rentrer vers l'Espagne: Raynair ne va plus en France mais le vol vers l'Espagne ne coûte que 40 euros. Nickel. Phase 1: Achat en ligne. Il faut se méfier car avant de voler, on peut facilement se faire voler: sur le site, je remplis les cases et je coche "bagage à main" pour éviter de payer un bagage mis en soute mais au moment de valider le choix pour payer, je vois que je suis sur le point d'acheter une valise! - ça commence bien ce retour. Phase 2: Enregistrement à l'aéroport: un beau blond tout bronzé - la plupart des surfeurs de l'île travaille à l'aéroport - me confirme que mon sac passe en bagage à main; 8kg. Parfait. Il fait 30°C et on me regarde bizarrement: j'ai mes bottes de mer aux pieds - elles prenaient trop de place dans le sac. Phase 3: Contrôle de sécurité: "Les passagers sont priés de sortir tous les appareils électroniques, ordinateurs et toute sorte d'appareil". Pfff. La flemme. "vous êtes sûrs?". Visiblement, ils en sont sûrs. Ok, vous l'aurez voulu: je sors de mon sac: téléphone, ordinateur, un petit appareil photo, une petite caméra gopro, deux GPS, un téléphone Irridium, une balise de détresse, un sextant, un compas de relèvement, des jumelles... Trois gars de la sécu se sont rapprochés, et les autres passagers en coups de soleil, tongs et colliers de fleurs font trois pas en arrière avec des yeux écarquillés de peur. On me demande d'enlever mes bottes et on m'interroge en pointant mon équipement: "c'est quoi tout ça?!". Phase 4: Tétris. Une looooongue file. ça dure trois plombes parce que nous devons tous faire le test de jauge du bagage à main. J'ai ré-emballé tout le matériel dans mon sac un peu précipitamment. Du coup, le sac est plus gros et dépasse la taille réglementaire. Il m'aura fallu 7 minutes pour réorganiser l'agencement intérieur pour que ça passe. Pfiou, c'était pas gagné et ça m'aurait coûté des sous. Phase 5. Embarquement. Dans le tube qui relie la salle d'embarquement à l'avion, nous sommes tous entassés. Je me sens claustrophobe. Trop de monde, pas assez d'air. Quand soudain, surprise, un beau brun avec son gilet jaune fluo de technicien de l''aéroport traverse tout le tube et me serre dans ses bras, s'exclame de joie. Son collègue l'interroge et il répond: "C'est la fille du petit voilier! Tu sais, la fille qu'on a vu à la télé! C'est elle, je te jure!!!" Et là, je reconnais ce surfeur Argentin qui était venu me voir au port: il avait en effet vu des reportages télé qui annonçaient mon arrivée sur l'archipel, et là, il n'en revient pas! Me voir, arrivée et en vrai "No me lo puedo creer!". Du coup, après le coup du contrôle de sécu, je me re-tape l'affiche, on me dévisage et je ne suis pas à l'aise. Dans l'avion, c'est open place alors je me mets sur babord, prêt d'un hublot, pour pouvoir regarder l'Ouest, une fois dans les airs. Phase 6: L'avion décolle. La petite fille assise à côté de moi, me serre la main et celle de sa maman. "ça fait un peu peur" me dit-elle timidement. L'avion est dans le ciel, et je regarde la petite fille qui est super fière d'avoir surmonté sa peur. Elle est toute mignonne. C'est bien, elle m'a aussi aidé à oublier que je m'éloigne de TaraTari. J'avais le ventre noué. Il l'est toujours. Un regard vers l'île qui devient de plus en plus petite. "Salut Tara Tari, à bientôt mon beau! Je reviens vite".

C'est curieux. En mer, j'aime regarder en haut vers le ciel, et là, dans le ciel, je me tords le cou pour regarder en bas vers la mer. L'océan est superbe, immense. Tout comme l'est le ciel vu d'en bas. Là, au large de l'Afrique, au-dessus de l'eau, je me dis que les étoiles ont aussi une jolie vue. Une vue qui me fait penser à une autre vue. Les crêtes blanches des vagues qui déferlent sur le bleu ressemblent à des petits points, elles ressemblent étrangement aux étoiles blanches qui brillent dans le noir. Et je me demande: Les étoiles font-elles aussi un vœu en voyant un vague filante? Quel vœu pourrait bien faire une étoile?

ça déferle vraiment tout en bas, c'est fou. et quand je pense que TaraTari était là, là-dessus, là-dedans, là dans l'océan, ça m'impressionne un peu. Tout est question de point de vue finalement. Du bord de mon vaillant TaraTari, si bas sur l'eau, l'horizon ne semble jamais bien loin et cela impressionne moins, je trouve. C'est bien de se donner de petits objectifs pour atteindre un but, de fragmenter. Ceux qui ont inventé les escaliers ont bien mis plusieurs marches dans leur trouvaille: pourtant le but ultime était d'arriver en haut (ou en bas selon le point de départ). Du coup, cette vue ne m'impressionne plus trop et je souris, toute seule la tête dans le hublot. je réalise que cette première partie à bord, de Kerpape aux Canaries a été une réussite. héhé. c'est chouette mais ce n'est pas fini. je suis sur un palier.

Atteindre son objectif: plan d'attaque.

Flash back au survol. Je repasse dans ma tête tous plein de petits moments vécus au même endroit mais sur l'eau, ces derniers mois. C'était tellement bien.
Tiens, un cargo! Pareil, il est moins impressionnant vu d'ici! En revanche, je me dis qu'en mer nous avons eu des cargos à vue de manière continue, et quand je vois le décor d'ici, pourtant, il n'y en a pas tant que ça des cargos! On a juste eu la même idée, de passer au même endroit au même moment. Enfin presque. Et je me demande: quelle est la probabilité de collision entre un cargo et un tout petit voilier en plein milieu de l'océan? Pas énorme, non? ça doit être comme pour ceux qui jouent au loto. Et puis je me dis aussi que si je suis un jour en situation un peu délicate, je serai bien heureuse d'être secourue par un de ces gros cargos, souvent les premiers à venir à la rescousse. Alors: zéro rancœur contre les cargos. Là, de tout là-haut je me dis qu'ils sont en fait des anges juste un peu effrayants quand on les voit de trop près. Mais pas si méchants, en fait.

Et puis soudain, par le hublot. je vois la terre. Deux terres, même: l'Afrique et l'Europe. Nous survolons la pointe Nord Ouest du Maroc et le ciel est si dégagé que la vue se perd sur l'autre continent, au loin vers l'Espagne. Dans mon hublot: le Cap Spartel et le Cap de Tarafalgar: je prends une photo toute pourrie, mais c'est plus fort que moi. Il fait grand beau sur le détroit de Gibraltar et cette vue est dingue. Aussi dingue que la traversée faite par la mer avec TaraTari. Maxime aurait certainement préféré cette traversée par les airs bien plus confortable! Dans mes pensées, je revis le fol épisode.

Traversée du détroit de Gibraltar par les airs. Vue de mon hublot.

Par leur absence, les nuages me font un chouette cadeau: la visibilité est parfaite! Et le pilote de l'avion: fait-il exprès de suivre exactement la route prise par Tara Tari? Nous longeons désormais la côte de l'Espagne. Tant de visages et de grands moments. Tarifa.. je salue le phare, Sam, sa voilerie et les kitesurfs. La baie d'Algeciras: la cardinale Est que j'avais passée à 1h du matin, au moment où la lune se levait et qui marquait l'entrée dans le détroit... Algeciras: la baie, la venue de Corentin... La Linea: Esteban, Ana, le varadero, le chantier, Ernest et les pulpitos... Gibraltar: le caillou, Ludovic, les cartes nautiques... Malaga: la nav' avec François et Julien, avec le spi d'Henri-Paul Schipman... Le cap de Gata: mes 6 tentatives de passage.. Garrucha: Lynne et les Anglais, Jose Luis et le bar du port... Aguilas: le mystère du mini taratari... le Cap de Palos: le plancton lumineux, la tempête de 17h.... Alicante: Agathe et son canap', Gonzalo, le café de la Volvo Ocean Race, Yannick, le froid et les citrons aussi.. Valence: la marina dans la tempête, Eddy mon premier poisson, Gaspar et sa famille, les cargos qui m'ont fichu la trouille... L'Ampolla: L'olivier, Joséphine, le Delta de l'Ebre, la famille Montero, les rois mages et l'accueil magique des pêcheurs... Noël en mer.. Vilanova: Auriol et Laia, Amadeu, le fromage et le cava... Barcelona: mon frère Jérôme, la naissance de ma petite nièce, ma première tempête, mon premier demi-tour, Nicolas l'Argentin, sa venue surprise en zod et son superbe court métrage sur TaraTari et moi, les discussions avec Anna... Quel voyage! Bribes de souvenirs!
Cela pourrait me rendre nostalgique, mais non, cela me donne juste encore plus envie de poursuivre la route, vivre d'autres instants improbables.

Un des grands moments, la tête dans les citrons des montagnes d'Alicante

L'avion se pose. juste au dessus de l'entrée de port. Mon frère m'attend, on se serre dans les bras. Et je poursuis ma route en bus. 24h de trajet. C'était le plus économique. Il pleut. Mais je suis heureuse de voir de grandes étendues vertes et de belles vaches dans les prairies. C'est beau une vache! Il n'y a pas beaucoup de verdure à Lanzarote, ça me plaît bien de voir les arbres. L'autocar s'arrête et je retrouve mes parents.

Ils me demandent: " Le voyage s'est bien passé ? Pas trop fatiguée? " Mes parents parlent des 3 jours  Iles Canaries - France, en partie en autocar. Plus tard des voisins me demandent : "Alors, ce voyage? Pas trop fatiguée? " Ils parlent des 7 mois  France - Les Canaries. Des amis bretons m'ont demandé: "Bien rentrée?": ils parlaient de mon retour en Bretagne. Le même jour, des amis de Lanzarote m'ont écrit: "Tu rentres quand?" : ils parlaient de mon prochain retour aux Canaries. Je m'y perds.

Suis-je en aller ou en retour? je ne rentre pas vraiment en France, puisque je me prépare à rentrer aux îles Canaries. C'est certainement le lot des nomades. Etre d'ici et d'ailleurs. Compliqué à expliquer pourtant c'est assez simple dans ma tête: Ma maison, en ce moment, est à bord de Tara Tari. Voilier petit panier en jute, et moi je suis un petit fruit voyageur, petit fruit d'un arbre qui pousse à terre, arbre de famille et d'amis. Alors comme tous les fruits rêveurs, je voyage sur mon petit panier, sans oublier d'où je viens, sans oublier l'arbre fruitier. C'est important. Un ami au corps immobile m'a dit "Merci de m'avoir fait voyager". ça m'a fait plaisir de l'aider à s'évader. A bord de mon petit panier, nous étions nombreux à voguer. Et nous allons continuer, n'est-ce-pas?

Le voyage s'est bien passé dans un sens puis dans l'autre, sur la mer, dans les airs, sur la terre, dans mes pensées et dans quelques souvenirs. Je suis là mais souvent en voyage. Décor ou pensée: tout file, tout défile.


Souvent le risque des pauses, c'est de ne plus vouloir poursuivre. C'est décevant mais cela arrive. Même si je suis très heureuse de revoir famille et amis, je sais que serai heureuse de continuer mon beau voyage. Pour être honnête, j'ai même hâte.

Quatre jours après mon arrivée en Bretagne, j'étais au mariage de mon ami Thomas. Un exemple parmi d'autres. Ici ou ailleurs, tout me rapporte à mes convictions. Jamais de nostalgie, mais bien des petits signes, des petits bidules qui attisent mon envie de poursuivre encore et encore! Même lors d'un mariage. La preuve en citron:

et moi qui leur ai offert un pommier; un vrai mariage fruitier!

Je n'avais pas 7 ans quand nous avons quitté la France, alors forcément, quand on est le fruit d'un arbre voyageur, le voyage devient assez naturellement un lieu de vie. Le fruit a besoin d'eau et de soleil pour s'épanouir sur l'arbre. le fruit aura le goût et le sang de son arbre, mais il ne restera jamais toute sa vie accroché à une branche. Certains fruits feront de nouveaux arbres. Mais souvent un fruit, on le cueille ou il tombe seul: le fruit voyage ou pourrit. moi, j'ai choisi le voyage!

Capucine


--
ps: Certains le savent, je suis aussi revenue auprès de mon arbre parce que je devais aller à l'hôpital. Et c'est fait. Merci à ceux qui m'ont envoyé de si gentils messages et cherché à prendre de mes nouvelles. Le combat continue contre les douleurs mais la bonne nouvelle, c'est que je ne me suis pas "abîmée" lors de ces 7 mois en mer. je m'accroche en attendant que les chercheurs trouvent un remède et ça va, je gère. Avec les médecins nous allons tenter de remplacer la morphine par d'autres procédés plus naturels: la nature étant pleine de ressources, nous allons bien trouver. Encore merci pour vos petits mails! Tout va bien, alors pas d'inquiétudes, ok? ;o)
à bientôt!

3 commentaires:

  1. Très agréable à lire tout ça, merci. Vivement le chapître suivant. Bonne continuation.

    RépondreSupprimer
  2. J'avais beaucoup apprécié la rencontre de COCO venu ici au 1er Mai à Gujan Mestras présenter son projet et le film de sa traversée.
    Je viens de me régaler à vous lire pendant un bon quart d'heure , ça donne la pêche, Chapeau CAPUCINE, vous me faites rêver.
    NNDD ! c'est ma devise et celle d'une bande de copains du Bassin d'Arcachon.

    NNDD: NAVIGUEZ NON DE DIEU

    à vous lire bientôt

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Salut Jean-Louis, oui un super week-end avec Corentin. Tchin Tchin à Capucine et à Tara Tari.

      Supprimer