jeudi 31 mai 2012

il n'est jamais trop tard

En mer. 17-18-19 mai 2012. Au large du Maroc.
- depuis 7 jours en mer; à 340 milles de l'île de Graciosa - Archipel des Canaries.

Le 17 mai. 12h. N33°04' W09°04. Nous prenons un ris dans la grand voile. Le vent se renforce et creuse la mer. C'est assez étrange d'avancer au large sans info météo. Tout peut arriver. Et là, c'est une belle houle qui arrive de l'Ouest. La houle Atlantique... la fameuse.

"Le large! TaraTari mon bon ami, nous y sommes!"

Seule sur le pont,
j'observe la mer.
Qu'elle est belle.

Tout est pourtant bien gris, ce n'est pas joli. Le soleil n'est pas visible à cause de la brume, et peu d'indices permettent de s'orienter. La mer et le ciel sont de la même couleur, même l'horizon a disparu. Certains se sentiraient angoissés sans aucun repère, mais là, à cet instant précis, j'ai l'impression de flotter dans un espace libre. Et cette impression est un plaisir.

22h. Il fait nuit. "C'est quoi ce bruit?" Maxime est inquiet et je sors la tête de la descente. Nous scrutons la mer noire mais nous ne voyons aucun bateau. Une grosse tache noire sur l'eau s'approche à grande vitesse, tout comme le bruit. "C'est quoi ce truc??! Un sous marin?". Il fait nuit et l'instant est assez effrayant: une tache sombre qui nous fonce dessus en faisant un bruit terrifiant. La tache arrive à notre hauteur, à tribord: nous fronçons les sourcils, inquiets, et essayons de comprendre. Grand soupir de soulagement; c'est un banc de dauphins! Combien sont-ils? 50, 100? vu le raffut, ils doivent être bien nombreux! Je note dans le carnet: "croisé armée de dauphins; Pfiou, la trouille."

Le 18 mai. 8h30. N32°12' W10°02. Nous avons relaché le ris, mais le vent s'est clairement établi. Cela fait 8 jours que nous sommes en mer. Les données météo que j'avais avant de partir ne sont plus valables et nous ne disposons plus d'aucun moyen de communication. Les batteries de la vhf portables se sont bien vidées avec tous ces appels aux ports de Casablanca, Mohammedia et aux cargos croisés trop près. Quant à la vhf fixe, elle n'arrive plus à rien car quand le pilote automatique marche, plus aucun autre truc branché sur les batteries ne marche. Ce n'est pas nouveau, j'ai passé les nuits d'hiver dans cette ambiance boîte de nuit, avec un feu de mât qui jouait les stroboscopes à chaque effort du pilote. Impossible donc d'avoir la météo par vhf. Le ciel est assez inquiétant, très nuageux. C'est peut-être le moment de sortir la radio BLU que m'a prêtée Antoine Debled. RFI n'émet plus de bulletins météo, mais si une énorme tempête devait nous tomber dessus, les radios en parleraient peut-être.

"ggggrregzrbbtrhbhizzzzhhhhhthrertttttt" dit la radio
"Tire la chevillette et la bobinette cherra"- je suis la formule: je tourne la petite molette et la chansonnette sonna! Nous sommes assez loin des côtes, on ne reçoit pas grand chose. Et puis finalement, je tombe sur une fréquence d'ondes audible: de la musique orientale super belle! C'est excellent! Tara Tari qui avance en dandinant sa coque... ambiance danse du ventre dans la houle Atlantique! Sexy Tara Tari!


♪ ♫ ♪♪ ♫♫
Volume à fond.
Grand moment de musique.
- je note dans le cahier "18 mai: fête de la musique"

18h. N31°49' W10°02. à 237 milles de l'arrivée.
J'ai changé les piles de ma frontale et du GPS. L'air est frais tout est gris mais tout est beau. je note dans le cahier :"TaraTari est magnifique. Je ne sais pas pourquoi je me sens si bien, je rigole toute seule et pourtant je n'ai pas bu".

20h. "Tout était gris mais des nuages se déchirent: retour des couleurs dans le ciel pour la première fois depuis 4 jours. Le coucher de soleil est féérique." ai-je noté dans le petit cahier.
Un des grands plaisirs qu'offre le large.
Assise sur la dérive au vent, alors que Tara Tari file vite et bien; je contemple.
Le spectacle dure une bonne heure et le ciel change à chaque instant. 

un instant
un autre instant
un autre autre instant
Nuit du 18 au 19 mai. 3h37. Maxime est de quart et me réveille: d'étranges feux de navigation sont à notre avant bâbord. Avec la houle, c'est assez compliqué de distinguer leur signification: la houle donne un effet clignotant: on voit les feux, on ne les voit plus, on voit les feux, on ne les voit plus. Grâce aux jumelles, je distingue deux feux, vert et blanc, en alignement vertical. Je vérifie dans un petit cahier de notes; il s'agit d'un navire en pêche de plus de 50 mètres. Il a de gros projecteurs sur le pont, qui n'ont pas aidé à distingué son signalement. Et puis, toujours grâce aux jumelles, nous arrivons à distinguer un feu rouge: c'est bon, il avance et pas sur nous. La nuit en mer, les feux de navigation sont la seule manière de repérer un bateau, savoir de quel genre de bateau il s'agit est important: ce bateau en pêche ne bouge pas beaucoup et ne doit certainement pas être très manoeuvrant, à nous de prendre nos précautions pour ne pas être sur sa route.

5h30. Tara Tari avance à 4 noeuds, le vent se renforce. Nous sommes sur la même amure depuis plusieurs jours, ça me change de la Med! Mais le bateau a tendance à lofer, je dois donc abattre de 10° pour rester sur la route. Je suis très concentrée sur la route à suivre.

et toujours faire le point
De nombreux cargos tout autour de nous; nous passons la nuit avec le compas de relèvement devant l'oeil, pour surveiller et calculer la route des cargos. Dans le journal de bord, je note le relèvement effectué toutes les 5 minutes. La méthode est bien efficace. La nuit se passe sans problème, mais sans beaucoup de repos.

compas de relèvement

19 mai. 7h30. N31°24 W10°48. à 204 milles de l'arrivée.
Le jour arrive et va nous faciliter le repérage des cargos un peu trop nombreux à mon goût.

9è jour en mer depuis Gibraltar et déjà 6 mois de vie à bord de Tara Tari
Tara Tari toujours en plein forme. Pas d'avarie majeure à déplorer: pendant les journées sans vent, j'ai essayé de nettoyer le pauvre petit DjianDong noyé dans la bataille de Gibraltar, mais il faudra attendre d'être à terre pour le re-refaire vivre. C'est le seul vrai problème du moment. L'eau ne rentre pas trop: j'ai resséré le presse-étoupe qui gouttait un peu trop. Ne pas écoper autant que cet hiver me change la vie à bord! bien contente que la réparation faite avec Coco à Gibraltar tienne le coup!

8h. je note dans le cahier "vague vue dans le ciel!"

très "Quiksilver" ce nuage
vous ne trouvez pas?

8h40. Plus que 200 milles nautiques! youhou!
Quelques dauphins viennent fêter ça.


10h. Le ciel bleu est de retour!! youhou! - again.


Les nuages sont complètement superbes. Cours de météo grandeur nature.
je note dans le carnet: "Ce matin lecture du ciel: révision de la signification des nuages"

11h30. On se prend un grain: le vent se renforce logiquement et nous prenons un ris dans la grand voile.

19h35: La journée se passe vite et bien. TaraTari fonce à 5,5 et accélère encore.
Pas envie de cuisiner, ce soir ce sera repas lyophilisé.


Enfin voilà.
Rien de bien folichon dans le descriptif de ces nouvelles journées en mer pendant lesquelles Tara Tari a bien avancé à 4 ou 5 noeuds, pendant lesquelles les cargos, les nuages, la houle i tutti quanti nous ont bien occupés.... 

Cependant, j'ai une confession à faire.

J'ai - il me semble - oublié de préciser à Maxime en lui tendant son petit sachet - dîner du soir, que ces délicieux repas récupérés auprès d'amis navigateurs étaient peut-être un peu périmés.

Pasta Bella Italia
Mais après digestion et malgré la houle qui nous a ballottés toute la nuit, je peux affirmer que les pâtes Bella Italia qui expiraient le 25 février 2010 sont toujours comestibles le 19 mai 2012.

Voilà, c'est dit.
Désolée, Maxime, je n'ai pas su trouver les mots.

C'est important de dire les choses.
Et comme pour les pâtes au fromage, il n'est jamais trop tard.

vive la récup' !
Capucine


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